Morceaux choisis de Michel OHL (extraits)

1992

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MICHEL OHL - MORCEAUX CHOISIS 

1992 

Edition commentée avec Notes, Notices bio-bibliographiques, Jugements, Exercices, et une introduction par Pierre Ziegelmeyer
Illustrations de l’auteur




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Je revais dans mon rêve : j’y ai oublié mon chapeau.
Michel Ohl

 
TABLE DES MATIERES
 

NOTICE par Pierre Ziegelmeyer
Introduction
Chronohlogie
Bibliographie 

CHOIX DE TEXTES DE MICHEL OHL
 
PETITES SCENES DE LA VIE EN PAPIER
1. “Petit poney” de tout à l’heure - 2. Philosophie del’histoire - 3. La MortE - 4. La pilule à pluie et les Iles Beur­rées - 5. Fesse, queue, doigt - 6. Nar­cisse - 7. Le roi s’abuse
LE MARQUIS DE SALADE
8. Les méfaits de l’automne - 9. Ma bêche - 10. Tuez-le à coups de livres !
ZAVATAR EN GASCOGNE
11. Moi, le lasso - 12. Mes débuts litté­raires - 13. La Secte des Fuyards
OHL’S FINISH
14. La mutine­rie - 15. Les Amis de la Charcuterie sau­vage - 16. Un pauvre type d’anecdote
BOVINOVITCH
17. Le retour du veau - 18. Le Boeuf - 19. Le Boeuf deux - 20. Je re­gimbe
POLICHINELLE AU JARDIN SECRET
21. La rédac­tion - 22. Petit prince sans rire - 23. A la chambre - 24. Le roi sans fou 

ENTRETIEN
25. L’ânon se fait tama­ris

LE POETE DE GARDE
26. Kuli-Kula 

NOTICE (suite)
Ohla-Podrida épouse
Sujets de Devoirs, par Pierre Ziegelmeyer
Jugements des contempo­rains
“La mystérieuse affaire du style, par Francis Giraudet.
Table des matières
 



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CHRONOHLOGIE

1946. 5 décembre. Naissance, à Onesse-Laharie, “La Landaise” (Landes), de Michel Jean Georges Ohl, deuxième fils de Charlotte Dulau et Pierre-Jean Ohl, négociant.
Sur le temps de la confection, lire Self-Made-Man : “Le Cinq-Mars de Vigny illumine la nuit où papa et maman me confirent” (Lettre Documentaire n° 16) et L’An Pinay p. 40 : “et maman évoqua au moment M un artichaut Mornay, me vouant du même coup à la dérision et au persiflage”.
Naître ou ne pas naître : “Ces cordes me rappellent les cordes avec lesquelles la sage-femme dut fixer les membres du michelohl foetal pour faciliter son extraction. Toujours aussi peu amateur de voyage” (Zaporogues p. 226).
Onessance : Sur O, N-E, S-S-E, bourg rêvé de la Rose des Vents et patrie de Christine de Rivoyre et d’Igor-John Dartigue­longue, voir Zaporogues pp. 69-71.
Pataphysical baby, Mémorial, commence par une brève an­thologie du 5 décembre : Ohl se place d’entrée sous le patronage “pas dupe” de Pavese, Constant, Gide, la factrice de Mimizan-Plage-Sud, Kundera, Mozart, Mishima. Plus tard, il en évoque d’autres, dont “un extrait de Lui d’Andréiev (1913) qui contient une définition de “ma” vie, et peut-être de cette dernière en géné­ral dans son inénarrable quiddité ! (j’eusse remplacé “diabolique” par “grotesque”, mais bon !...)” (Lettre du 13 juin 1990) : “C’est avec cette première neige, le 5 décembre, que tout a débuté... Il m’apparaît parfois que tout ne fut qu’ invention diabolique de quelque conteur raté. (...) Le premier fait à signaler fut l’apparition de cet être étrange, mystérieux, qui semblait per­sonnifier la puissance maléfique, la noire mélancolie...”
1950. “Quand j’étais môme (environ 1950) je louais chaque jeudi un cab à cocher, et nous allions, lui et moi, nous baladions” (Chez le libraire p.82). “J’aime l’institutrice, Mlle Jeanne Peau­debec, d’un amour tranquille : il me suffit de l’emprisonner sans me presser ; et le soir je l’amène chez moi dans mon mouchoir rose suavement noué” (id.pp. 83-84). Voir encore l’épisode de la mort du hérisson Jean-Loup des Districts (id. pp. 168-169).
1952. 5 décembre. “Au zour d’hui, de mon sixième anniversaire, ze commence mon Zournal. Ze le nomme “Zournal d’un Homme”.” – Il l’arrête au bout d’une page, et ne le reprendra qu’à l’hiver 67. (Sacripants! p.97)
1953-58. Ecole primaire d’Onesse.
Vacances d’enfance à Luchon et Villefranque (près de Bayonne). “Mon papa me lisait, ainsi qu’à mon frère aîné, Jules Verne, la dive Comtesse et J.O.Curwood” (L. du 25 novembre 1991). (Sur le père, voir : La vérité sur mon père, dans les Ca­hiers du Schibboleth n° 12.)
(Mai 1955) : “La bombe artisanale glissée en mai 1955 sous le lit bateau parental n’explosera jamais” (Quay’s quest ).
(1956-1957) : “l’obligé grenier des dix-onze ans où l’on s’enferme pour lire les romans de nos papas, Boylesve, de Mio­mandre, Escholier, Jaloux, comme dans le Grand Meaulnes” (Zaporogues p.62).
“Mon enfance (mon ! ) est faite de photos, de défroques, de déguisements, d’histoires, de rugby, de bicyclette, de jeu d’approche, de pain perdu, de Pays Basque vraiment sidérants quand on y pense” (Pataphysical baby p.58)
(C’est en 1955, à l’occasion des fêtes du centenaire de l’invention, par Michaux, de la pédale et du bicycle, que le petit Michel découvre la petite reine chère à Louis Nucera. Il la pra­tique sur route et par écrit, “enfant fou de Vélo-City”, gagne les Championnats Cyclothymistes des Landes en 1976 (voir Sacri­pants! pp. 101 et 154), puis cesse de pédaler deux ans plus tard, après une rupture de cadre avec chute.)
En 1956-1958, suit les cours de catéchisme à Onesse. Il rê­vera, le 12 janvier 1990, de “la bonne du curé, Marie-Lys, co­quette et rajeunie par rapport à mes années de catéchisme” (Lettre Documentaire n° 5)
1958. Première publication, dans Miroir-Sprint : A propos des bonifications au haut des cols du Tour de France.
1958-1961. Fréquente le collège de Morcenx.
Pâques 1959. Son père l’emmène dans un voyage d’affaires de quelques jours à Moscou et au Japon. Au Café National de Mos­cou, qui fait le coin de la rue Gorki avec Okhotnyj Riad, il est fasciné par Iouri Oliécha, l’auteur bohème et alcoolique de L’envie et des Trois gros bonshommes, dont le nom lui semble être une russification du sien. A Nishiogi, c’est au cabaret Aha­hah qu’il écoute le romancier M. Uehara chanter le “refrain inepte” : “Guillotine, guillotine, chourouchourouchou...” – dont il se souviendra pour la Chanson des Chauds Nippons que chante (avec l’accent alsacien ! ) le Nick de Pataphysical baby.
(16 août 1959). André d’Arrigade (rencontré en 1953 à Lu­chon) est champion du Monde sur route à Zandvoort.
Mi-1961. Commet une fuguette, caché à cent mètres de chez lui. “Je commencis tout jeunet de fréquenter les psychiatristes : à la suite d’une fugue bénigne...”
Notons qu’à la page 13 de son Porc trait de l’ôteur en Mastok, Armand Vivier s’abuse en voyant dans cette “fugue bénigne” un “morceau de musique du Bénin”. Mais il n’a pas tort de souligner le vif intérêt qu’Ohl porter(a) toujours aux “chants, sons de la voix, ris”, “negro spiritueux et autres boa-songs exotiques – oh l’amusique muse hicale!” ; ainsi qu’aux instruments dont il tâte à l’occasion : coucoulélé, flûte amorphe, piano sec, lime à sons, guzla, zaoum, galoubet, hélix fort, olifan (ce dernier lui cause­rant quelques ennuis, comme le rappelle Vivier : “Olifan : / Ohl en fit / en philo ; / oh l’amphi / en folie !”)...
1961-1962. Suit des cours par correspondance.
“Automne 1961 post-Christ-Homme : Revenant d’enterrer grand-père, j’allai noyer ma peine au Beau Ciel Dieu ...” (à suivre dans Méfées d’Alcoholie).
Août 1962. Noyade de Prôte Cageru, Lecteur (Zaporogues p.37). “(Une semaine avant,j’avais expérimenté la saloperie de la mémoire. J’étais allé dans un coin très-précis de forêt océa­nique où j’étais allé – déjà ! – à l’été 62 avec l’une de mes pre­mières amours à goût de cendre” (id. p. 95)
1962-1963. En Première au lycée Victor-Duruy de Mont-de-Marsan. Son condisciple Alain Juppé publie dans Le Grelot, en 1962, un compte rendu du Voyage de Céline, et trois poèmes si­gnés Pierre Odalot. “Ah, J...é ! J...é ! vieux condisciple ! J...é ! colossal J...é ! oh, je me souviens ! il décrochait souriant tous les prix au lycée Victor-Duruy de Mont-de-Marsan tandis que moi, j’attrapais gauchement de rares mouches à m...e !” (Amédée-Jean Mermozart...)
“Découvert à seize ans Bagatelles... dans la bibliothèque pa­ternelle. Premier bouleversement littéraire. Ce livre horrifiant appartenait à mon grand-père, adepte de la philosophie ( ! ) du colonel de la Rocque” (L. du 25 novembre 1991). Par la suite, il entreprendra “dix fois un essai sur Céline”, essai “dix fois aban­donné”, puis décidera “d’écrire l’histoire de l’échec” de cette ten­tative, sous forme de “Chronique d’un Essai sur Céline”... “mais j’abandonnai, de même que Georges Perec et d’autres me firent abandonner Dolphe” (l’Adolphe de Constant a-A), “de même que mon “Sur Sur Dante” reste à l’état de foetus” (Pataphysical baby p. 113)
1962-1966. “De seize à vingt ans : étés idylliques à Biarritz chez ma grand’tante Hélène, bohème au grand coeur qui me pré­sente certains personnages pittoresques de la “colonie russe”. Premiers bars, premières cuites” (L.du 25 novembre 1991). (Voir Pataph...14-15)
1964. Expulsé, en mai, de Victor-Duruy, où il purgeait une an­née de Philo.
1964 puis 1965. Deux séjours à Cauterets, non en pélerin admirateur de Nane, ô Jacques d’Iscamps, mais pour soigner une sinusite. Déguisé en Otto, il s’y amourarrache d’Anna, quatorze ans, qui le “réduit à l’impuissance” (cf Pataph...12, 123-143 ; Zaporogues 113-157). Il y retournera plus tard (septembre 76, par exemple), ne faisant que lire et boire (cf Chez le libraire 95-102)
1964-65. Repique en Philo, lycée Montaigne à Bordeaux. Il y lie connaissance avec Francis Giraudet. Ils seront expulsés à Pâques 65. (Sur son orientation après la sortie, voir Quay’s quest)
Pendant les vacances d’été chez sa grand-tante, une “princesse russe” dont il est amoureux, Sonia, lui révèle Griboïe­dov : “Il suffit qu’un Monsieur soit de Bordeaux : / Au premier mot à lui la chance / De passionner nos princesses” (Le malheur d’avoir trop d’esprit –titre qui lui inspira la chanson : “Mordieu quel malheur d’avoir un esprit qui brise Ohl”) (Voir L’Impromptu du Rugby bar).
1965-66. Une troisième année de Philo suivie par téléensei­gnement lui permet de décrocher le bac. Lit beaucoup. Fonde avec Giraudet la Fédération Française de Lisure. “A vingt ans, pêle-mêle : les Russes, Rigaut, Artaud, Crevel, et puis la Pologne, Unica Zürn, Jarry, Allais, Hasek...Et la chanson : Gainsbourg, Trénet, Brassens...” (Lettre du 25 novembre 1991).
Se documente sur les Olmèques, qui sont à Ohl comme les Mixtèques à Mitterrand (voir L’an Pinay).
Fin 1966, entreprend d’écrire sa version du “Livre des morts p’tits bêtas”, le Brdô-Tau-d’Ohl (ou Tordohl), sa “croix hantée”, Bordeaux, comme “en Troie sacrée” (“O Brdô ! démoniaque ma­quette construite à l’échelle d’un unième afin de me piéger !”) ; mais il ne s’en sortira pas, et ce manuel du “tors héros” des ombres restera encorné aux douanes du schéol. L’extrait qu’en donne Armand Vivier dans son op. cit. nous fait regretter cet ina­chèvement.
1965-1968. S’occupe de l’éducation de son petit frère Jean-Pierre.
1967. Sous l’influence contiguë du poète Brizeux et de Brizo la déesse du sommeil, il s’adonne fervemment à la brizomancie. On en trouve de nombreux échos à travers toute l’oeuvre.
Un dimanche de juillet, au bar de la place Clemenceau, à Biar­ritz (période brune), où il attend de rencontrer Sonia, il se de­mande, “par hasard, s’il n’existait pas une sorte de mémoire à l’envers – comme, à mon sens, Nabokov a beaucoup influencé Sade” (Pataph... 15)
En août, il travaille deux semaines dans une maroquinerie de la rue des Larmes, où il avoue s’être livré sans vergogne à un grand déballage de mots-valises, en compagnie de Carole et Louise, les deux filles de la maison – d’où l’abrègement du con­trat par le patron.
Pour “se rattraper” ( ! ), il entreprend son “ grand tour du monde des hauts lieux ohliens”. Mais, terrassé par une paralysie du coude à la terrasse du Old Loup’Bar d’Holnon (Aisne) (“Oh ! l’nom honni ! Pense que je n’ai même pas pu pousser jusqu’à Holving !” –Lettre du 10 mai 1989), il rebrousse chemin et pré­fère désormais jouer les aventuriers passifs chers à Mac Orlan.
De cette épopée abrégée, de ce “voyage au long secours” de six semaines, restent des carnets difficiles à déchiffrer, ainsi que plusieurs témoignages plus ou moins oraux. D. Roy, dans Une journée en Juin, a recueilli sur le tas (parfois...) plusieurs de ces témoignages, précieux, même si certains peuvent sembler, vu l’état de certains témoins, légèrement sujets à caution. Celui, par exemple, de Joël C., d’Olette, qui prétend qu’Ohl se donnait une ascendance russe en passant par Holderlin lequel aurait en 1802 engrossé une tante de Gogol qui faisait la nounou ukrai­nienne à Bordeaux.Ou bien celui de Jean-Louis Ch., d’Olloix (Puy-de-Dôme), qui affirme avoir pu entraîner Ohl, après un repas très humide, à la chasse au “mâche-tard”, le dahu local ; on chasse ce mastard à la glu, dit-on, lorsqu’il vient la nuit sucer les fruits de l’arbre à morve ; là serait l’origine de l’énigmatique langue des morts créée par “Michel Ohl, le dumézil du mastaraglu”, comme le re-nomme fort à propos Jean-Sébastien Lemey dans Dépèce-toi,poète !
1968. En mai, lit Gaston Leroux et rencontre Unica Mour à Gau­tereau (Traité de tous les noms 85). Il est reçu à la première partie du DEUG de Lettres Modernes, à Bordeaux, en même temps que Michel Valprémy – “Seul et unique succès universitaire”.
Voyage de trois semaines en Espagne (son unique voyage hors frontières, dit-il, modeste, à part quelques excursions à San Sebastian), “voyage au cours duquel il (CENSURE) et faillit périr d’insolation, sur la plage d’Almeria, le 15 août – la cousine de son professeur d’anatomie était originaire de Carthagène – à midi” (Pataph...89)
1969. Il entraîne sa mémoire (sportive douée, qui “encaisse à fond : prodigieuses capacités de mise en boîtes !”) en vue de plu­sieurs championnats toutes catégories. “Je sais par coeur le cur­ricu de 127 fleuves, je sais aussi le palmarès du Tour de France et du Goncourt” (Quay’s quest). Il organise toutes sortes de ren­contres, comme le match bi-annuel de rugby “Russie-Ecrivains-Morts-Club” contre “Morts-Auteurs-Fin-De-Siècle-Français-En­tente”, au stade de Postérité (voir le compte rendu, avec plan du terrain, Chez le libraire p. 172) ; et le championnat de Lisure, et les rencontres fluviales telles que Pô-Tage, Seine-Ob, avec le match Don-Gard qui faillit mal tourner, et “l’inouïe finale Gard-Rhin” (id. p. 123).
Il pratique aussi la pêche à la ligne (et au vers) (Voir les récits qu’il fera paraître dans la revue Première Catégorie de Guy-Marie Renié), mais abandonne définitivement les poids et haltères – au profit de “la poix des altérés”, ajoute-t-il, énigmatiquement.
1970. Du 8 mai au 8 juillet, premier séjour au “Manoir de Sanité Mentale” d’Orthez. “En 70 je soignais au Château de Préville (au Chalet plutôt : annexe affectée aux délicats cas), je soignais une ivrognerie chronique compliquée d’identitose, affection dégéné­rative de l’identité personnelle, j’étais moi sans l’être” (L’an Pi­nay p. 40).
Il y rencontre Michèle Kessel, épouse irlandaise de Joseph K., auteure de deux romans signés Michèle Kildaire : La Pro­messe(dont le personnage Fiona apparaît dans Pataphysical baby ) et Marie-les-Bottines (dont le titre annonce en partie Ma­rie-Botte) – Michèle mourra le 30 décembre 1980 (Voir L’an Pi­nay p. 41).
Il y séjourne de nouveau en septembre-octobre, puis en avril 71. Francis Giraudet évoque cette période dans Les Cahiers du Schibboleth n° 6, p. 30 : “Mikhaïl, l’apôtre de la non-volence (...) repartit pour des Orthez et pour des Lourdes”...
Sur “Orthez-Chalet-Psy.–70”, Orthez où siégea la cour de Gaston Phoebus (“le soleil nie l’âme-hors...”), nombreuses allu­sions dans l’oeuvre. Lire, entre autres, dans Zaporogues p. 126, sur la “théorie de la mémoire” : “Th. zéro: anagramme d’ORTHEZ”...
1971. Après le troisième séjour à Orthez en avril, passe plus de cinq mois (du 30 juin au 6 décembre) à l’Hôpital Sainte-Anne de Mont-de-Marsan, pour “psychonévrose avec aboulie sur fond schizoïde, tendances dipsomaniaques”. Il sera suivi régulière­ment “en post-cure”, avec un traitement rude.
“Mort-d’Homme-en-Sang”, ou “l’Empire” de “Neuroleptie”, temps de la réalité alitée (inquiétant poisson raie couché entre ses draps), temps des morbidéesses aux doigts sucrés (“Robinson Sucroë en son îlot fondant”), aux langueurs nonpareilles : Voir, entre autres, Zaporogues 149-151.
1972. Est réformé, après quinze jours de grève de la faim (“mais non de la soif”) à l’Hôpital militaire Robert-Picqué.
Publication de Sonica mon lapin, recueil d’aphorismes et de scénettes qui font comme une sorte de canevas des ripopées à ve­nir. Le ton, les thèmes (et le don, donc ! ) y sont, mais éclatés, non liés. La sauce du récit, épicée, demande à être épaissie. Elle le sera, de main de maître queux, dans les six ripopées (lesquelles référeront d’ailleurs souvent à Sonica) que Louis Nucera – rencon­tré à Paris par l’intermédiaire de Joseph Kessel – fera publier chez Lattès à partir de 1974.
(Sur Sonica et ses “échos ripopiques”, voir l’article d’Anna de Hore, dans Piccola n° 8, février 1973.)
1973. Jacques Monférier, président des Amis de François Mau­riac (voir L’an Pinay p. 56), lui trouve un poste d’intérimaire à la Bibliothèque Universitaire – qu’il s’empresse de refuser . Puis c’est derechef “la kyrielle des Chalets de Pitié Mentale, om­braille, schéol, schéol” (Self-Made-Man). “Mes tendances éthy­liques, liées à de sérieuses difficultés relationnelles et d’identification – souvent ces dernières exacerbées au moyen de l’acide lysergique –, font de moi un client honnête” de la psy­chiatrie (Pataph...74). Plusieurs hospitalisations en 1973, 74, 75.
Le 8 septembre, fête les cent ans de Jarry en écrivant “une amusette” : “l’Amour Fou en Visites : Chez la Psychiatre”, insé­rée dans Pataph...25-26.
1974. Parution de Pataphysical baby présenté par Louis Nucera: “C’est Joseph Kessel qui, le premier, me parla d’un étrange jeune homme : l’amour de la littérature le disputait à la mort”...
Le lundi 1er juillet, commence le “Journal d’une Incurie-Chronique” intitulé Cauterets-sur-Mer (in Zaporogues pp. 113-157).
1975. Rencontre Lise Le Lay aux Arts, bar bordelais. Rencontre anticipée dans le “roman par lettres par lettres” d’Otto Anna Lise (Pataph...123-139), où Lise rencontre Otto à l’automne 65, pre­mière année d’Université.
1976. Parution de Zaporogues au début de l’année. En même temps, parution de Mimizan-sur-Guerre, Journal de Xénia Déni­kine (1940-1945), chez Stock.
En septembre, loue une “villa abandonnée de la côte” (en pleine mer donc), “sur le chemin de l’Islande (...) le second pays de ma mythologie” ; pendant ce temps “la guerre civile faisait rage en Suisse tuant Nabokov” (Zaporogues pp. 30-31)
Fin 1976 : Mort de Coscos par immersion dans une bou­teille à manuscrit (Sacripants !)
Parution de Sacripants ! (1977), Chez le libraire (1978).
1979. Envoie à Claude Nougaro une cassette sur laquelle, “entre autres tubes ou saucissons”, Ohl chante “La complainte du bou­cher” de Zaporogues.
(Le 5 décembre 1979) par anticipation, avait donné une pe­tite fête, au soir de son 33e anniversaire, à l’occasion de son “grandiose projet de suicide public à la manière de” ; parmi les invités, on notait la présence de “Jean-Alfred Gazinet, Goncourt 77 (Frénos Désarçonnée)” (Zaporogues p.29)
1980. Parution de Traité de tous les noms, ainsi que (le 5 avril) de Nicolas , fils de Lise et Michel. – Avait prévu, dans Sacri­pants! : “En 1980 j’abandonnai totalement la littérature pour me faire papa. J’avais déjà été pape (sous un faux nom : Pie III) vers les années 1500” (p. 74)
1981. Fonde les éditions Schéol, qu’inaugure le Comme quoi Napoléon n’a jamais existé de J. -B. Pérès – suivi de L’Affaire Louis XVII, texte de Michel Ohl (qui sera repris dans Entre devins comme l’une des “Quatre enquêtes de Sherlock Ohl”).
1982. Janvier : Parution d’Entre devins, dernière ripopée accep­tée chez Lattès.
Juillet : S’entraîne pour les Championnats du Monde de Li­sure (voir Marie-Botte pp. 30 et 37).
Août : Nouveau (et dernier) séjour désintoxicatoire à Orthez. Les 6 et 7, il y écrit L’irrision du Diable, pour servir de “prélibation” à La fleur rouge de Vsevolod Garchine (rééd. Schéol, mars 1983).
A propos de ce séjour, voir Le crestou de la créature rougis­sant, texte sur les fous littéraires impeccablement lancé par une anagramme du nom d’André Blavier : “AVRIL DE BEARN 82, manicome d’Orthez : votre lucide serviteur Admis pour défaut d’être” – incipit enté d’une note où il retourne joïeusement la si­tuation : “lorsque, simulant l’Oblomovchtchina tendancieuse­ment dipsophile sur fonds schizoïde j’enquêtais en milieu psyc”!
Le 5 décembre 1982 : Soutient sa thèse de doctorat en théo­logie. Il sera nommé cardinal (Monseigneur Ohl des Marais) en juillet 97, et assassinera Jean XXIV pour se faire élire pape aux dépens des favoris : Antonioni, Yang-Po et La Grenouille (si l’on en croit Sacripants! pp. 74-76).
1983. Août : Invente la harpe schéolienne, ou schéoli-harpe, et le poïng-poïng (Marie-Botte pp. 24-26).
A l’automne, participe aux “Assises du Livre du Casino de Pau” ; il y tient ( ? ) le stand de Schéol, vide quelques ( ! ) verres en compagnie de Daniel Crumb, “grand prêtre du Culte de Lunéa­val”, fait la connaissance de Jean-Sébastien Lemey (qui lui dédie son essai sur les boursouflures, i.e. les remplissages en littéra­ture, non les bouffissures physiologiques –encore que les ron­deurs soient liées, puisque les études statistiques montrent que les remplisseurs ont dans l’ensemble plus d’embonpoint que les te­nants de l’écriture maigre), tombe amoureux “d’une belle édi­teuse” et ... (Lire la suite dans “Salop d’Ohl ivre”, L’an Pinay pp. 46-48).
Décembre : Schéol publie Echidna, de Francis Giraudet, et Le Spicilège tristachyé de Jean-Baptiste Bousmar, fou littéraire, suivi de Béatitude du bousanthrope violé par l’M. O.
“Couchant 1983” : Bérénice Constans et Francis Giraudet fondent Les Cahiers Du Schibboleth.
1984. “Lu ces jours-ci un des livres les plus “inouïment c..s” de notre époque : La Sainte Vierge a les yeux bleus ” (Lettre du 15 juin 1984).
Juillet : Premier voyage à Bassac, chez Ed. Plein Chant.
Coeur de l’été : Fait la connaissance du président “chez les d’Artigue”, pendant la traversée d’une “très grave crise sentimen­tale” (L’An Pinay p. 9)
Jour des morts : signature du Concordat entre Schéol et Schibboleth au Scherzo bar de Bègles.
1985. Début de la collaboration à La Poire d’Angoisse de Didier Moulinier. Découvre Nicolas Mauriac, neveu de François, auteur de : De Dieu qui jaunit à l’idée de Dieu, “oeuvre estomirante”, et Le Remémora, “deux volumes inclassables, inouïs, publiés en 52 et 62 chez un obscur éditeur : Tombelaine” (Les Cahiers du Schibboleth n° 6).
Décembre : Parution de : Le nom du livre intitulé Marie-Botte ou Pèle-Galets (Plein Chant, coll. La Tête Reposée), qui obtien­dra le Grand Prix de l’Humour Jaune décerné par l’EDEN en 1986.
1986. Lit “tout” Simenon. Passe l’hiver 86-87 ulcéré pour de bon et visite plusieurs fois l’hôpital.
1987. Pèlerinage à Orthez. “L’été dernier, je me suis rendu vi­site à Orthez en 70. (...) Dans le Bordeaux-Pau je délirais à la perspective de revoir ma fiancée de Pataphysical baby” (L’an Pi­nay p. 41).
Septembre : s’initie au billard.
La ripopée intitulée Petchénègues demeure en souffrance chez Lattès.
1988. Entre fin avril (ce rival) et l’ami mai, fait la connaissance d’Armand Vivier, qui lui consacre un Porc trait de l’ôteur en Mas­tok, d’une crédibilité (“un cri : débilité !”) parfois douteuse.
15 septembre : Participe aux Disputations & Lections orga­nisées par et pour les Cahiers du Schibboleth à la FNAC de Bor­deaux.
Octobre : Lance le manifeste d’une nouvelle école poétique, “Les Crée-Peu à l’Art maniaque”.
1989. Collaboration aux publications de Philippe Billé : Do­cuments-Pages, puis Lettre Documentaire.
12 Juin : Ecrit au Centre Régional des Lettres pour proposer ses services en qualité de guide au “château” de Malagar.
Fin 1989-début 90 : Entraînement intensif en vue des Cham­pionnats de Billard, sous l’oeil perçant du Corps Med...
Fin 1990. Parution de L’an Pinay, écrit en 1988-89, pour ou­vrir dignement l’an du Centenaire.
1991. Schéol reprend du service : publie Liompa, de Iouri Olié­cha, et réédite L’irrision du Diable, qu’Ohl-l’auteur fait suivre de très-précieux commentaires intitulés L’Impromptu du Rugby bar.
En octobre, tient le stand de Schéol au Salon du Livre de Bor­deaux. “Ma deuxième expérience, après les Assises de Pau que je raconte en L’an Pinay. Ma prochaine représentation se fera, à la russe, sur la table mortuaire” (Lettre du 10 novembre 1991).
Décembre : Parution, aux Ed. Galimart, de La Notchnixe de Francis Giraudet, où Miochel, “le phrère d’Alice et d’Alinéa”, évoque au bar avec son détectif ami Vigilinski “l’en-vain des choses, l’empois du temps, les Zaporogues”...
 



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8. Les méfaits de l’automne
 


Les deux derniers jours il perdit conscience et délira, mais dans son délire il ne disait que des choses que tout le monde savait.
“La Volga se jette dans la mer Cas­pienne... Les chevaux se nour­rissent d’avoine et de foin...”
ANTON TCHEKHOV
Table, verre d’eau, nombreux auditeurs : Chers amis, qui est l’automne ?
Premièrement : ne confondons point l’automne et un autre “mot”, discourtoisie par exemple, ou magnésium . Mais il reste à présent beaucoup de choses.
L’automne commence en auto roulant sous les feuilles malades – jusqu’au jour où Dieu l’étouffe de sa main intense immense... (La main divine saisit des tonnes de feuilles, et nos voïageurs mourront en des conditions...brrr...)
Heureusement il y a ensuite mne. Et l’essence de l’automne, avouons-le, habite ce mne. Mais, voici son his­toire25 :
Un jour, Gaulois et Romains... non. Un jour Moyen Age et sa p’tite femme Renaissance... non plus. Un jour, samedi, Dieu... non et non, zut !
L’auto réussissait (quel effort Maman !) à cracher loin l’infra-conducteur. Peu après on devinait une montagne molle, et le petit homme s’agitant là-dessus !
Bobonne autorise ma conférience... si je parle JAMAIS de notre amour merveilleux... né justement début automne : voilà qui est fait.
Les feuilles cessent de tomber : les arbres ne sont pas des anges ! Ils sont des pylônes en chair boisée munis de bras fixés. A ce titre ils méritent l’impuissance entière de l’homme et l’animal. En ville, ils forment d’étranges clubs histoire de s’épauler, Landais de Paris , Bretons de Bordeaux, mais ça foire... les hommes ne comprennent rien, SUR­TOUT L’AUTOMNE.
Surtout l’automne...
Le fameux mne multiplie si j’ose dire cette “incompréhension”. Moi-même si je ne confériençais ici je serais quelque part quelque chose d’ahurissant, n’importe où, et tentez de mesurer ce hasard !
Un Français un jour voulait capturer mne au beau milieu de l’automne ! Imaginez...
Dans la science des mots26 le milieu de l’automne est tom. C’est parfois un gosselin ravissant qui marche parfai­tement nu sur la plage ou en forêt. Capturez-le allez ! vau­trez-vous... et vous verrez ! Le gouvernement prend ces his­toires au tragique, l’amour d’enfant est-il ravi, bientôt les po­lices de France vous traquent-traquent, vous moisissez en pri­son !
Croyez-moi, mieux vaut aimer la Vérité.
Elle, c’est une fillette. Son charme sélénien éclipse Tom, sur terre elle promène toute l’année, mais je préfère ses pro­menades en automne. Annick se caressait dans un coin d’octobre à l’orée du bois, les pins soupiraient jusqu’au faî­tage, sous la lune de plomb, je le jure Dieu, la nuit... je suis pas un traître déguisé en mne qui abuserait les futures mortes paupières béantes, ma femme le dit toujours : “ Je27 suis pas un traître Michel !”...
Mais l’automne refuse les compromis.
... On a beau voir chez les copains, en miroir, l’os du crâne tout nu, l’automne marche, marche, et vous ressemble dans votre voiture je m’excuse de le dire... Vous redoutez qu’on totalise vos voitures pour calculer une région de l’Enfer ! Je m’excuse mais l’automne vous ressemble, c’est ainsi.
Et je bouge rebouge la bouche devant vous, j’y suis obligé, et surtout la langue – taisons-nous au sujet des dents... – il y a tant de rouge ! et je ne vois rien mais je parle de l’automne.
Je fais un trou et je revais à l’école, ma femme nage dans l’ignorance, elle joue raquette cerceau diabolo là-bas au diable, elle s’avance vers moi, se cambre et décoche ce cri :
– M’MAN AIDEZ-MOI ! J’AI OUBLIE D’ME LAVER LA VIE !
Six ans croyez-vous.
... Et voilà l’automne...
Les autres pianistes du quatuor Année, mériteraient un mot mais... je vous le dis amis,
Lunidi on ne peut pas Dimaniche ...
Ma femme dirait, Tu fumes trop en confériençant !, Tu devrais nouer une écharpe par ce froid automnal ! ... si elle était là.
Et l’automne était... et l’automne filait... Dans sa chambre ma femme se demandait “Ai-je raison en général ?”, et elle répondait “ Oui ou non Edwige mais oui !”...
Vous écoutiez bloscar, un nouveau mot surgi au terme de l’automne – et je prenais un doigt d’eau inaimée (il prend)...
J’allais conclure favorablement (malgré les méfaits) quand... se décoinça du futur le célèbre animalcule instanti­cide... et se mit à chatouiller mes pieds fredonnant comme moi :
... Chatoville chatouille
Grenoville et pied grenouille...
Alors, vous protestâtes. C’était l’automne, indiscutable­ment. J’ai décidé d’en finir, et de rejoindre celle que j’aime tant, foie et cerveau compris. Les Dieux soient avec vous bien gentils camarades.28
(Chez le libraire pp. 21-24)
 

25 “Michel Ohl a l’art de tirer (par les cheveux ou par la queue) des his­toires (occasions, diaboliques) à partir d’une rencontre de mots, d’un rien jamais vu : une fissure de la langue : il y glisse un petit coin, s’y faufile pour satifaire sans doute un besoin, coincer la bulle, rêver, il pousse un peu et c’est parti (fendant), le roc pète, la montagnette s’éclate, en tous sens, des mots sort en vagissant la petite histoire ; elle peut être avor­tonne, tourner en rond, tirer sa référence, se défiler, elle est née” (Jean-Sébastien Lemey, op.cit.)
26 Une science avec une “grande scie”, qui coupe dans les mots vivants (“qui est l’automne ?”), à vif les tranche, et les morceaux continuent de vivre leur vie comme les bout des vers coupés — vers de terre, de poèmes aussi bien qui continuent de grouiller au loin dans les mémoires et les his­toires.
27 Autre exemple de piège ohlien, jouant de l’équivoque des pronoms : Ce “je” est dit par lui, qui se défend d’être le traître, et sa femme l’approuve, ou bien il (ce “je”) la représente elle, qui se détache de lui, et le traite de traître... Lecteur feignant, à toi de démêler.
28 Exercice : Résumez ce que vous avez retenu de cette conférence.
 



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21. La rédaction 82
 
à ma soeur
Sortant de table, le soir, je gagne ma chambre. A la douce lueur de la lampe, je fais mes devoirs.
J’ai onze ans, j’ai horreur de ma mère mais je feins si bien de l’adorer tout le temps qu’elle m’est indifférente.
Elle vit séparée de mon père, qui est un homme mort. Elle veut que plus tard je sois métronome, ou horloge comme l’oncle Egor. Elle arrive toujours à pas comptés sur le dallage par ses souliers ferrés. La voilà justement, Un’ ! deux ! la voici, Un’ ! deux !
Quand elle est avec moi, ma man me donne des leçons d’horloge. Elle fronce tour à tour les sourcils gauche et droit, disant : “TIC nerveux TAC nerveux TIC nerveux TAC nerveux TIC nerveux ...”
Parfois elle s’arrête et elle dit :
— Voir Michel grande horloge... et je mourrai heureuse !
— Peut-on être heureux grande horloge m’man ?
— On ne dit pas “peton” d’abord, monsieur du Fils : on dit “petit pied”, c’est moins familier. Et le bonheur, ça vient après ! Le métier, métier nom d’une prune !
Et ma mère de trépigner, de baver. Elle se convulse, hur­lant : “Le métier, métier nom d’une prune ! Le métier...”
Je donne un coup de pied dans le visage et ma man s’apaise :
— Bon ! TIC nerveux TAC nerveux au français ! TIC nerveux TAC nerveux lis-moi ta rédaction ! Un bon métro­nome doit savoir sa rédaction, même si ça lui sert à rien ! Un’ ! nerveux deux ! nerveux ... Allez ! lis-moi83!
(J’ai envie de dire : on ne demande jamais à un fils de lire sa mère, madame de la Maman : c’est trop familier. Mais on n’en finirait plus et je lis mon devoir.)
“Rédaction de français. Sujet : Un député Sciences-Pour-Demain, Jean-Paul Simplicité, propose à la Chambre le verbe pleurir (pleurer et rire de concert). Dire en une page ce que pleurir vous inspire, et conjuguer ce verbe à l’imparfait de l’indicatif.
”Bon j’y vais :
”Je pleure d’impuissance comme un veau qui voit venir l’abattoir ou, au mieux, le boeuf.
”C’est un vrai déluge !!! Si je vis dix milliards d’années la terre sera encore noyée. Seul survivant je suis Dieu, et je rigole tout mon saoul à la barbe du néant, et dans la rigole coulent des larmes de rire !
”Et je ris, bêtement, comme un âne qui brairait, ôterait le b a ba du braire et très-content d’avoir trouvé ça rirait, bête­ment, comme l’âne qu’il est, aux larmes, jusqu’au jour où il oublie qu’il rit et se fiant aux larmes croit pleurer...
”Et je pleure mais sur quoi ? ah oui, le passé bébé mort, les bébées amours mortes, surtout ! et là-dessus je pleure fontainement mais j’en ai vite ras-le-bol et croyant à du lait incolore j’avale d’un trait,84pestepouah! de l’eau salée ! l’anecdote m’amuse et je ris ! je ris ! je ris ! je ris !
”Je ris aux éclats ! j’éclate littéralement de rire ! et ma man arrive Un’ ! deux ! elle craint la crise de nerfs... Ne dé­cevons jamais notre mère, les enfants ! en voici une, de crise! une belle, surgissant à cheval névropathe sur l’instant galo­pin... Et je ris, et je pleure, et le bouquet violent de mes larmes monte à ma tête qui éclate de rires singultueux... Un chat ne rit ni ne pleure, j’en ai vu un et je l’appelai, pour m’hypnotiser et ne pas mourir. Il m’a regardé pleurer et rire de concert, comme dans le sujet, il voulait faire mumuse ba­balle avec la pelote de mes nerfs électrifiés, comme...
” Et je riais, et je pleurais, et je conjuguais le verbe pleu­rir de Jean-Paul Simplicité, en manière de calmant, à l’imparfait de l’indicatif, mi-pleurant mi-riant :
”Je pleurissais, tu pleurissais, il pleurissait, nous pleu­rissions, vous pleurissiez, ils pleurissaient. Alors, M’man ?”
— Un chat il faut l’appeler “un chat” et non “l’happe-lait” comme l’autre petite andouille !
— Oui, mais encor ?
— EncoREU ! C’est bien, c’est mal, c’est nul, c’est ex­tra, c’est génial, c’est con, c’est fin, c’est lourd, c’est moyen, c’est débile, c’est rien, c’est mignon, c’est laid, c’est gai, c’est morose, c’est zéro, c’est tout, quelle idée de dédier ce machin à ta soeur ! tu n’as pas de soeur !
— Et Lucie ?
— Lucie ? ah oui, Lucie... mais elle est morte ! En étu­diant pour être ver luisant elle s’est enterrée vive cette tordue! et monsieur du Fils ignorait que mademoiselle de la Fifille-Soeusoeur s’était enterrée ! Il l’ignorait peut-être !
— Non ! je ne savais pas ! mais ça ne fait rien, cochons, cochons dédicace m’man... mais... mais, le devoir ?
— Encore ! Rebien, remal, renul, r’extra, regénial, recon, refin, relourd, remoyen, redébile, rerien, remignon, relaid, re­gai, remorose, rezéro, re c’est tout ! métier nom d’une prune métier horloge métier !
Et ma man trépigne, elle bave. Elle se roule par terre, clamant : “Métier métier nom d’une prune !” Je donne un coup de pied au visage, et je dis :
— Si tu veux m’man je me ferai métier pour commen­cer. Je tisserai tisserai, je me ferai beaucoup beaucoup d’argent et je me paierai une auto, et des cours d’horloge en Suisse où on ira dans l’auto.
Ma man est très-contente. Elle saute en mesure au pla­fond que sa tête cogne chaque seconde et elle scande : “TIC petit TAC gentil TIC auto TAC horlo TIC jojo TAC gâteau TIC cadeau TAC bobo...”
Elle saute, saute, se met à baver et devient écarlate. Alors je plante au vol mon porte-plume dans l’oeil et elle s’en va, riant , pleurant, le porte-plume fiché droit comme la tige d’une fleur sauvage qui fleurirait l’intérieur de la tête, riant-pleurant, riant aux larmes violetées d’encre, mêlées d’humeur vitrée, irisée... pleurissant.85
(Sacripants! pp 12-15)
 

82 Il s’agit du premier texte (la “Table” étant mise) de Sacripants! . Paro­die d’exercice scolaire en même temps que retour en enfance, nique au temps (oh ! devenir horloge — “Ohl gore ? ” anticipetant :) évocation du vert caca d’oie (ma mère !) paradis des horreurs enfantines... Lire aussi le texte d’ouverture d’Entre devins : Décomposition française, et, dans le même, pp. 131-136 : Qu’on m’enterre deux textes ! (Question de passage: Les rapports de l’écriture avec la mort). Relire également, plus haut, le texte 11, Moi, le lasso (Sujet : Mettez-vous à la place d’un objet et racon­tez son histoire).
83 Equivoque sur le pronom, dont Ohl manque rarement de jouer.
84 “Ohl s’approprie le langage en le défigurant. Il aime user au sens propre des locutions figées au figuré. Des mots, il démasque les sens ca­chés, les rhabille proprement comme dessous neufs et les renvoie sur les planches pour jouer les figurants dans ses petites scènes de la vie d’un propre à nier” (Armand Vivier, op.cit.)
85 Etudiez les caractères de la poésie ohlienne d’après ce dernier para­graphe.
 



NOTICE (suite)
POUR MÉMOIRES DE DAME OHLA-PODRIDA
ÉPOUSE SUJETS DE DEVOIRS
 
L’ART ET LA MATIERE.
Parmi les notes laissées par “l’Homme 3 lettres” ayant fini d’être TRAITE DE TOUS LES NOMS (181), figurent les suivantes suggestions en “matière d’art” (à propos de Rodolphe Q, “le plus grand sculpteur sur merde qui soit au monde”) :
“Hémorroïdes / Vêture des statues / LES BOCHES (sic) : verge en sperme plastifié – perruque en sueur congelée – oreilles en cé­rumen poupé – nez de morve figée – aréoles anthraxeuses en pus confit – igloo néant de larmes frites – dents blanchement sura­joutées en bave rocette de bronchite – pieds en sang – oeil en pleurs”.
Recherchez d’autres manifestations de même pâte à travers l’oeuvre. Vous relèverez, entre autres : Un écrivain sur vomi, un autre usant de “jus de pou lacté”, un emballeur d’étrons, un peintre de chemises, un encadreur de lard, un graphiste aux leurres, un phothanatographe, un peintre de sous-verres à soûles vermines, un landartiste qui “prépare un peu la nature la nuit”, un graveur de messages sur “harmonikas suicides”, sur guigne et sur melon, et une belle collection de sculpteurs : de montagnes, de cadavres, de crottes, de morve, de sperme, de suées, de mou­choirs, de pâte d’araignée...
BIBLIOTAPHE.
“Je me souviens vaguement du mariage d’un cimetière et d’une bibliothèque municipale” (DEVINS 162). – Racontez cette cérémonie contre nature (i.e. cultuelle), en faisant parler livres morts.
Si lire c’est s’évader, et si partir mourir un peu, lire beaucoup est-ce mourir assez ?
BOITE (Mi-mise en).
“Deux mots à propos du petit cercueil de la semaine : C’est une bière de gros bébé en chêne imperméable ; j’y entasse ma production hebdomadaire, des larmes au çaça, en passant par la sueur, le foufou, les poèmes, etc. Le dimanche vers seize heures, je clos mon cercueil, – chantant ma rengaine courageuse : “Ça visse ? on oeuvre ? / Ç’avale des couleuvres ? / Ça bosse ? sans triche ? /...C’est pour quand les bostryches ?” ...et je vais l’enterrer au jardin” (TRAITE 60).
Quelles sont, d’après vous, les raisons de ce rite hebdoma­daire rythmé par un poète à seize heures du dimanche ? Faites le rapprochement avec les notes de “L’Homme 3 lettres” (voir plus haut : “L’art et la matière”) et avec la façon qu’ont les “scie-lèxes” d’ “enterrer leur vit de garçon”. Relevez d’autres mises en boîte, en bière, en tropes, en nom-de, en je, en pas-je, en senne, en serre-vices, en plis (recommandés). N’oubliez pas la sange, “une boîte où l’on enferme cent mots d’amour” (TRAITE 81). Profitez-en pour digresser à l’écart sur la notion d’enfermement chez Ohl.
CHANSON.
Michel Ohl avoue un faible pour la chansonnette, rengaine ou cantique, il en compose et même en pousse à l’occasion. A titre d’exemple, dans le seul ZAPOROGUES, on trouve : une chanson scoute, un twist, une antienne, deux comptines, un can­tique kantique, un chant de boucher, un chant d’ânier, deux chants d’ailes, un couplet bêta, une scie, une rengaine scandable, une complainte du boucher, une ripoline, une mélopée et une chan­son-plomb...
– Continuez l’inventaire à travers les autres ripopées. Sujet à traiter : “L’air des chants d’Ohl”.
DEFIGURATION.
“Quand je ne pouvais la voir, je posais un lapin tout chaud dont je venais de crever les yeux au pied d’un orme où je lui don­nai rendez-vous” (ZAPO 185)
Examinez le mécanisme de la défiguration des expressions, à l’oeuvre dans la scène ci-dessus. Rapprochez des séances de dé­peçage et de boucherie fréquentes dans “ce divin maquis de Salade russe”, comme l’écrit de l’oeuvre d’Ohl Jean-Sébastien Lemey, qui ajoute : “Ohl s’y prend comme pas un pour rouler la langue en taillant la bavette (...) et lui-même – qui s’y prend s’y racole – n’y coupera pas, il finit toujours par s’emporter le morceau” (Dépèce-toi, poète!)
EXCRETA.
“Je ferme les yeux et vomis mon enfance, la plus longue tar­tine de confiture de fraises du monde” (Méfées d’Alcoholie)
“et je pousse tel qu’un damné, ainsi poussait le petit Pous­seur, et il jalonnait de crottes le chemin de la forêt Perdue” (L’AN P 57)
“sous l’oeil exorbité du géant psychiatre Robustar, – dont giclait à intervalles réguliers un blanchâtre liquide ! Maman Terre fit de cette morve lacrymale... cent fleurs-oiseaux !” (TRAITE 139)
Faites le recensement exhausse-tifs, dans une des ripopées au choix, des vomissements, pissats, suées, menstrues, larmes, semences, laits, sucs, pus, mucosités, foires, sanies et autres sé­crétions secrètes, excrétats extra, excrétions exécrées, etc. Peut-on voir dans ces débords l’expression d’une poésie naturelle, au sens propre ?
FAMILLE.
Relisez toute l’oeuvre en comptant combien de fois le narra­teur tue ses pamarents, les dépèce, les dégraisse, les retaille, les... (complétez). Quelles conséquences en tirez-vous sur la mal­léabilité du corps familial ?
“Je sculpte vomissant trois pseudo-bébés dans l’obscène ca­davre papal, je jette l’immonde rabiot à la poubelle, et je leçonne maman” (TRAITE 54). Imaginez la “leçon”.
“Papa s’évanouit ; j’opère selon ses injonctions ; il meurt peu après le coup de hache ; le pied à la main je gagne la forêt”... Imaginez une suite à cet extrait des “Nouveaux contes du Père Ohl” (DEVINS 163).
Que pensez-vous du jugement de la maman du narrateur : “Tu porcrées de menues cochonneries pour sots, soûls et vicieux dans ton genre !” (TRAITE 113).
Michel Ohl, écrivain de la famille ? Déguisez-vous en Oedipe et menez l’enquête.
 




JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS


• “Il n’est pas rare que les romanciers ressemblent à des person­nage de roman. Prenez Michel Ohl et son Traité de tous les noms, on le croirait sorti des Enfants du limon de Queneau.” Gérard Guégan, Les Nouvelles littéraires, mai 1980.
• “Tout s’entortille, les pères fondateurs deviennent des calem­bours du pire goût possible, et Ohl devient un personnage.” Evelyne Pieiller, La Quinzaine littéraire, 18/6/1982.
• “... le contentement de l’auteur agace parfois. On le voudrait moins complaisant à son égard.” Maurice Nadeau, lettre du 2/9/1989.
• “Depuis que j’ai lu : “Chaque fois que je mange un hot-dog, je pense à la bataille de Gergovie, c’est idiot”, dans Sonica mon la­pin de Michel Ohl, chaque fois que je mange un hot-dog, je pense à la bataille de Gergovie, c’est idiot.” Anna de Hore, in Pic­cola n° 8, février 1973.
• “Que la folie du verbe le délivre d’autres folies qui ne tarderaient pas à faire de lui une ombre prématurée.” Louis Nucera, préface à Pataphysical baby, 1974.
• “Il est déjà ailleurs, entre les choux et les petits lapins.” Ra­phaël Sorin, Le Monde, 25/7/1980.
• “Fils de Jarry et de Brizeux.” Jean-Marc Faubert, Sud-Ouest, 23/3/1988.
• “Un habité du verbe ! un saint du langage !” Claude Nou­garo.
• “Je préfère les pommes de terre aux tomes de père.” Nicolas Ohl.
• “M. Ohl présente un état de déséquilibre psychopathique avec appétence toxicomaniaque, lié à de gros problèmes névrotiques, d’identification et de relation.” Docteur Jivaro, 2/5/1972.
• “Un livre ailé formant cerf-volant, rattaché par cent mètres de boyaux à une éolienne au socle de cerveau sans maître : voilà le monument roussellien que j’élèverais à Ohl.” Vincent Mi­lane, Réponse à une enquête lancé par la revue Plein Chant en 1991.
• “Michel Ohl n’a pas eu de chance, il est rentré un soir chez lui avec le plus grand puzzle du monde : un vocabulaire carabiné.” Pierre Veilletet, Sud-Ouest Dimanche, mai 1980.
• “Marqué de coups venus on ne sait d’où, Michel Ohl frappe dans le vide.” Claude Mauriac, Le Figaro, 15/10/1974.
• “Tant de renommée qui l’épargne accroît le beau silence où court sa plume de non-lu.” Georges Walter, automne 1978.
• “Un con.” Latapy
• “Le plus gentil garçon d’Onesse.” Soeur Andrée de la Sa­gesse, 1960.